mardi, mai 16, 2006

Raymond Federman : Les boudoirs de l’Internet

Je suis le Marquis de Sade de l’Internet. J’y circule tous les jours, surtout tard la nuit, et j’y enseigne la philosophie du boudoir. Dans l’espace internet on appelle le boudoir une chat room, sans se rendre compte du sens que le mot chat a quand on le prononce en anglais – inutile d’en dire plus.

Mais dans les boudoirs internet la différence de sexe est abolie. On peut être qui on veut, ce qu’on veut, puisqu’on est invisible aux autres qui ne peuvent vérifier la véracité de notre identité et de notre sexe. Ils ne peuvent qu’accepter ce qu’on leur dit être. Et de même pour eux, les autres sont ce qu’ils veulent. Dans l’espace internet on peut mentir à volonté. En fait, le mensonge est de règle. On peut se dire n’importe quoi. Hommes, femmes, animaux, robots, clones s’interpellent les uns les autres et se disent être ce qu’on veut qu’ils soient pour l’occasion du moment. Sexe, Age, Location sont les trois clés d’engagement philosophique et érotique dans les chat room internet.

S-A-L – voici la formule d’introduction à remplir pour avoir accès à l’autre – celle ou celui qu’on veut engager et séduire dans une chat room. Bien sûr, on peut se dire de n’importe quel sexe, se donner n’importe quel âge, se situer n’importe où, pourvu que celle ou celui qui vous demande S-A-L accepte ce que vous vous êtes fait. Par exemple si vous répondez F/28/CA. Cela veut dire que vous êtes
une femme de 28 ans en Californie. Et le fait d’avoir répondu indique que vous voulez bien aller au-delà de ce premier échange. Et si celui ou celle qui a demandé S-A-L trouve à son goût l’age le sexe et la location de celui ou celle qui a répondu, l’engagement se fait.

Mais non pas sans quelques soupçons. Est-ce vraiment une femme ? Et si femme est-elle lesbienne ? Ou est-ce un homme qui prétend être femme ? Un homosexuel ? Dans un cas ou dans un autre il faut décider rapidement qui on sera. Oui, une décision doit être prise immédiatement, sinon le répondant ou la répondante se mettra aussi à douter de l’identité et du sexe du questionneur qui en réponse au F-28-CA a révélé qu’il était M-30-NY.

Il est évident que celui ou celle qui répond au S-A-L peut ajuster son sexe son âge et sa location pour bien montrer qu’ils sont compatibles. À moins, bien sûr, que celui ou celle qui a fait le premier pas ne soit en quête justement d’une lesbienne ou d’un homosexuel. C’est là sans doute la grande attraction de ces chat room. On peut s’ajuster sexuellement dans le temps et dans l’espace en se choisissant un sexe, n’importe lequel, en se disant plus jeune ou plus vieux et prouver qu’on est ni trop vieux ni trop jeune d’après les coordonnées de l’autre, et en se localisant où on veut, mais pas trop près du local indiqué par la première personne. Ceci pour éviter certaines complications au delà de l’espace de la chat room.

Donc je circule là-dedans. D’une chatte à l’autre, si l’on peut dire. Ou d’un chaton à l’autre, pour marquer quand même une différence. Et si je vois un chaton ou une chatte qui n’ose pas se révéler par les mots, car tout ici ce fait par les mots, n’ose pas inscrire et expédier le S-A-L, alors je les pousse un peu vers leur jouissance à venir, en les dirigeant subtilement vers un IM.

Oh vous ne savez pas ce que c’est qu’un IM!. Instant message. Ce IM c’est un petit coin discret, une ouverture, une petite fenêtre, un boudoir dans l’espace internet dans lequel on peut se parler à deux, tête à tête, si l’on peut dire, tranquillement loin de la foule des excités qui bafouillent dans la grande chat room publique.

La chat room c’est l’anti-chambre qui mène au boudoir IM. Dans le boudoir IM on échange des plaisanteries, on se taquine, on essaye de faire des subtilités, sachant bien d’avance où tout cela va mener.

Inévitablement, dès que deux aspirants se sont séparés de la foule de la chat room pour faire du IM, ils savent ou cela les mènera. Dans la PCR. Private Chat Room. Un espace tout à fait privé qu’on peut accommoder et meubler selon l’imagination des deux partenaires qui maintenant sont prêts à se plonger dans les jouissances du PCR.

Il ne m’est pas toujours facile d’entrer librement dans ces privates chattes room. Il faut avoir un passe-mot et il faut aussi que vous soyez sur la BL des aspirants. Buddy List. C’est-à-dire que vous soyez inscrit dans la BL comme chaton ou chatte potentiels.

Je ne vous révélerai pas comment je m’arrange pour m’introduire dans ces espaces privés et comment une fois dedans, en vieux professeur de jouissance je guide lentement et gentiment avec mes mots, car tout ici n’est que langage et luxure, pour faire échos à Baudelaire qui s’y connaissait si bien dans les plaisirs que les mots peuvent donner, je guide lentement et gentiment mes deux aspirants et soupirants vers l’ultime et sublime moment de jouissance solitaire et séparée qui résulte toujours de l’échange de mots et de soupirs visuels qui se fait dans la PCR.

En tout cas, dans ces chattes privée je jouis moi-même de voir les autres se faire jouir, sans jamais savoir s’ils jouissent avec une femme, un homme, un homosexuel, une lesbienne, ou un vieux pervers qui fait crier de plaisir une jeune vierge.

On ne révèle jamais sa véritable identité dans les chat room, sauf si d’un seul coup on tombe amoureux fou de celle ou celui avec qui on vient de jouir en privé. Dans ce cas là on passe alors au EM. C’est-à-dire que maintenant la liaison amoureuse se fait par correspondance E-mail. Ce qui n’a plus d’intérêt pour moi, puisque c’est en tant que touriste que je circule dans les chat room, et non pas en tant qu’aspirant.

lundi, mai 08, 2006

Vincent Bergerat : Traumbuch


Traumbuch
Vidéo envoyée par Vincent Bergerat

Remerciements de l'artiste à Alexandra Compain-Tissier.